Bruxelles, le 4 mars 2013
M. Le Recteur,
Nous prenons la respectueuse liberté de vous écrire afin de réagir, comme d’autres, à l'annonce de votre participation à une soirée en l'honneur de M. Shimon Peres. Notre courrier prend acte du billet posté sur votre blog-notes "Le Recteur de l'ULB peut-il dialoguer avec Shimon Peres?" du 27 février 2013.
Comme
vous le savez, le Comité BDS-ULB appelle au boycott des institutions et
personnalités israéliennes qui contribuent à maintenir l'oppression du
peuple palestinien. L'Etat d'Israël, puissance occupante, et les
gouvernements israéliens successifs, se sont constamment ingéniés à
battre en brèche toute application du droit international et à rendre
vaines les diverses résolutions de l'ONU sur la question. Il poursuit sa
politique de bantoustanisation des territoires palestiniens occupés,
rendant de moins en moins viable un futur État palestinien. Le "mur de
sécurité", pourtant déclaré illégal par la Cour internationale de
Justice, est le symbole des politiques d'apartheid institutionnalisées
par Israël. Le boycott est donc pour nous un outil de pression efficace
mais aussi un devoir.
Lors
de la présentation de notre cercle aux autorités académiques de l’ULB à
fin de reconnaissance, ces dernières nous avaient indiqué ne pas
vouloir se positionner sur la situation au Proche-Orient. Ce point de
vue minimaliste nous semble déjà discutable car renvoyer dos à dos
oppresseur et opprimé revient en fin de comptes à cautionner la logique
de l’oppresseur. Dialectiquement, ne pas agir, c’est déjà agir.
Néanmoins, la « neutralité » de l’ULB nous a fait espérer initialement
que vous déclineriez l’invitation sachant qu’autrement vous engagiez
notre Université en tant que caution morale de l’État d’Israël.
Le rappel de quelques faits plaide vigoureusement pour un tel refus. Outre sa fonction actuelle de Chef d'un État qui mène une politique d'apartheid au mépris du droit international, le Président Peres est parmi les personnalités politiques israéliennes responsables de décennies d'oppression et de discrimination à l'égard du peuple palestinien. Les gouvernements successifs auxquels il a participé, que ce soit en tant que Premier Ministre ou Ministre de la Défense, se sont illustrés par leurs pratiques brutales telles que la relance de la colonisation dans les territoires palestiniens occupés. M. Peres est directement responsable du bombardement en 1996 d'un camp de réfugiés de l'ONU à Qana – Sud Liban, où plus de 100 personnes trouvèrent la mort. Ce bombardement intentionnel de l'armée israélienne a été unanimement condamné, sachant que cette dernière semble une habituée des représailles indiscriminées voire de « représailles préventives ». A l'époque, M. Peres rétorqua qu'il était en paix car tout avait été accompli selon une logique claire et de manière responsable. Le massacre de Qana a néanmoins obligé M. Peres à renoncer au poste qu'il convoitait à l'époque, celui de Secrétaire Général des Nations Unies. M. Peres a également à son triste palmarès d’autres crimes de guerre qui vont de la construction de colonies en territoire palestinien occupé à la mise en place d’une politique d'assassinats extra-judiciaires. Nous glisserons sur son soutien économique et militaire au régime sud-africain d'apartheid, alors que celui-ci était déjà unanimement condamné. Vous nous direz qu'un Prix Nobel de la Paix ne peut avoir un tel passif mais saviez-vous que feu Yitzhak Rabin, lui aussi Prix Nobel de la Paix, loin d’être élogieux en parlant de Shimon Peres, le qualifiait plus caustiquement d’"infatigable magouilleur"? Et, selon la formule consacrée, cette liste exemplative n’est pas limitative...
Les
éléments exposés supra démontrent que M. Peres n'incarne pas seulement
la politique menée par Israël mais en est également un des instigateurs
majeurs : notre malaise et notre indignation sont à leur comble quand on
devine le flot de louanges et d’honneurs qu’il va recevoir, qui plus
est, en présence du représentant d’une institution aussi prestigieuse et
chère à nos yeux que l’ULB. Les personnalités telles que M. Peres
doivent tout simplement être boycottées, jamais honorées.
Nous
avons donc décidé de joindre notre voix au concert de protestations qui
vous ont été adressées, d’autant qu’à la lecture de votre blog, il
apparaît que vous êtes tout à fait conscient de la véracité et de la
gravité des faits sus-évoqués et que vous semblez prendre de la distance
par rapport aux paradigmes couramment admis par nos politiciens et nos
médias, à savoir une vision manichéenne du problème palestinien.
Nous
vous conjurons donc, afin de ne pas cautionner cette subtile opération
de communication du gouvernement israélien, d’annuler votre
participation à cette cérémonie en l'honneur de M. Peres.
On
peut cependant deviner que vous n’avez pas toute votre liberté de
manoeuvre et que vous irez à cette soirée en dépit de tout ce qui plaide
pour le boycott du Président israélien. Si malgré tout il devait en
être ainsi, puissiez-vous au moins, par votre présence lucide, votre
critique argumentée, et vos demandes pressantes d’explications, être le
porte-parole de la cause du droit et de la dignité humaine. Vous dites,
et cela sera certainement le cas, que vous serez fort esseulé dans ce
rôle mais vous serez donc, nous l’espérons, l’étincelle de réflexion et
de conscience au milieu d’un océan de flagorneries et d’insipidités
politiquement correctes quand vous interpellerez notre Docteur Honoris
Causa sur son implication dans des faits que le droit international
réprouve. En tant que représentant de notre institution et de ses
valeurs, nous espérons que c'est le message que vous porterez et que
vous nous informerez par après.
Et
puis, cohérence oblige… Le titre de Docteur honoris causa est attribué
sous conditions strictes, « en raison de l’honneur ». Si la personne
distinguée ne justifie plus de son honorabilité, serait-il si
déraisonnable d’envisager d’ores et déjà le retrait de sa distinction à
quelqu’un qui s’est couvert d’opprobre et qui... a du sang sur les
mains?
Les
nobles valeurs de notre institution, parmi lesquelles le Libre Examen,
ne nous obligent en rien à rester insensibles quand se pose la question
des droits humains fondamentaux ; les idéaux qui guident notre
Université exigent même d'elle de n'entretenir un quelconque lien avec
des institutions ou personnalités qui ne les respectent pas. C'est dans
ce sens que prochainement le Comité BDS-ULB s'adressera aux autorités
académiques pour leur demander de mettre fin aux partenariats qui lient
l'ULB aux institutions israéliennes actives dans la recherche militaire
et donc complices du gouvernement israélien, un gouvernement dont vous
dites dénoncer les pratiques tout comme nous.
Dans ces attentes, nous vous prions d’agréer, M. le Recteur, l’expression de nos salutations respectueuses.
Le Comité BDS-ULB